La liberté individuelle se défend anachroniquement selon la très vieille opinion qu’il n’est d’indépendance, pour le modeste possédant, que sur son champ, derrière son comptoir ou devant son établi. Cependant, des millions d’hommes et de femmes non possédants ne peuvent indéfiniment faire les frais d’une production et d’une répartition insuffisantes, onéreuses et inadéquates aux besoins, pour qu’une minorité de leurs concitoyens se croient indépendants, ce qui n’est, en dernière analyse, qu’une illusion.
Les conquêtes que les hommes ont faites sur la nature empruntent aux forces de la nature. Elles obéissent à leur déterminisme et les hommes sont contraints de les suivre pour les diriger ou de se laisser emporter par elles au désordre économique. De sorte que, finalement — dans l’intrication des productions et des échanges nationaux et internationaux — c’est la nécessité publique qui doit orienter l’organisation de l’économie. De manière ou d’autre, il faut à la fois que soient trustées les grandes affaires et que soient contenus les trusts, ceux de forme soviétique aussi bien que ceux de forme capitaliste. Les petites affaires ne peuvent durer et prospérer qu’autant qu’elles correspondent à des besoins et tiennent dans le circuit la place qui convient, non à leur possesseur, mais à la nature des services qu’elles rendent.
Est-ce là une régression de la liberté ? Ce peut être, en effet, un servage d’Etat dont notre temps aura fait la dure expérience. Ce peut être aussi, dans une société collectivisée sous une extrême rigueur policière, la stagnation de l’économie par l’annulation des libres initiatives.
Il faut cependant, à une société équipée d’instruments nouveaux, des principes de vie nouveaux. La difficulté est d’axer ces principes de telle sorte que la socialisation des moyens n’entraîne pas la caporalisation des personnes. Que l’argent n’ait plus toute autorité ne suffit pas à changer la condition des hommes de labeur si tout le pouvoir demeure en dehors d’eux. Que la production et la répartition des biens soient rationnellement et intégralement organisées, que la prospérité même en découle, il n’en résulte aucun progrès humain authentique, si au sein du mécanisme économique et social, à chaque rouage essentiel ne subsistent une possibilité et un intérêt d’initiative individuelle ; si dans les laboratoires et les facultés, comme dans la modeste chambre d’un pionnier solitaire, ne sont maintenues et stimulées les tendances des élites à la libre recherche.
Dans cet ordre d’idées, les doctrines et les systèmes abondent. Aucun, et singulièrement ceux qui, plus ou moins déformés, ont été mis en actes, ne résout la contradiction de l’individuel et du social. Tous comportent des éléments valables que désignent au choix les expériences des révolutions décevantes de ce premier demi-siècle. Ils sont à reprendre dans une synthèse d’organisation sociale qui, de quelque nom qu’on la désigne, sera collectiviste quant à la gestion des choses. Ce qu’on en doit dégager pour ce qui est de notre objet, ce n’est pas tant la forme organique à lui donner que l’esprit qui la devrait animer afin qu’elle servît la liberté.
Tout serait aisé s’il suffisait de rappeler le truisme démocratique : le bien public, fait collectif, exige comme tel le concours de tous et interdit ce qui lui est contraire. Précisément, c’est à partir de cette interdiction que l’arbitraire commence et que disparaît la liberté puisque, au moule étroit des juristes, ce principe dirimant signifie que le social prime absolument le particulier. Il devrait donc être corrigé par l’exception formelle des droits de l’individu : libre manifestation de toute pensée, liberté sans condition des actes accomplis en privé, droit effectif à un temps suffisant de vie rigoureusement personnelle, c’est-à-dire sans aucun contrôle d’emploi. Sans ces garanties, il n’est de révolution où l’individu ne se retrouve bientôt ficelé et bâillonné par les “devoirs” arbitraires et les néoconformismes.
Disons, en d’autres termes, qu’il n’est point de système qui vaille un effort de réalisation s’il pose l’individu comme la chose du collectif. L’individu est un élément du collectif dont il est inséparable puisqu’ils sont et vivent l’un par l’autre. Mais l’individu seul est une réalité, un “ être ” en soi et pour soi : une personne. C’est pour subsister que l’individu est astreint à une part de l’effort commun, à des disciplines inévitables. Cette part d’efforts accomplie, sa personne doit recouvrer sa complète autonomie, son existence “ pour soi ” qui est la condition sans laquelle toute vie humaine serait dépourvue de signification.
(Aus: L'homme et la liberté [1955], nach der Ausgabe Paris, 2002, S.99-101).
Disons, en d’autres termes, qu’il n’est point de système qui vaille un effort de réalisation s’il pose l’individu comme la chose du collectif. L’individu est un élément du collectif dont il est inséparable puisqu’ils sont et vivent l’un par l’autre. Mais l’individu seul est une réalité, un “ être ” en soi et pour soi : une personne. C’est pour subsister que l’individu est astreint à une part de l’effort commun, à des disciplines inévitables. Cette part d’efforts accomplie, sa personne doit recouvrer sa complète autonomie, son existence “ pour soi ” qui est la condition sans laquelle toute vie humaine serait dépourvue de signification.
(Aus: L'homme et la liberté [1955], nach der Ausgabe Paris, 2002, S.99-101).
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