Mai 30, 2010

196 Jahre Mikhail Bakunin, 108 Jahre Hem Day



Sowohl der Geburtstag eines der Gründerväter als auch der Geburtstag des belgischen Individualisten und radikalen Pazifisten Marcel Dieu alias Hem Day (=MD, get it?). Da Hem Day sich als Historiker mit Bakunin beschäftigt hat (Bakounine et sa confession, suivi de La Légende de la dictature chez Bakounine, 1935, sowie Michel Bakounine : aspects de son œuvre, 1968; der erste Teil einer Bakunin-Bibliographie erschien 1966), liegt es nahe beiden mit einem Text von Hem Day über Bakunin zu gedenken:
"La Confession de Bakounine", nach der Ausgabe 22 der Zeitschrift La Rue, 1976 (Quelle):

Au début de l’année 1932, était publiée, pour la première fois en français, la « Confession » de Bakounine [1], écrite en 1857. Cet acte de « contrition » avait déjà suscité des insinuations plus ou moins malveillantes à l’égard de l’homme qui prit une part active à la propagande sociale et révolutionnaire du siècle dernier.
La « Confession » de Bakounine, traduite par Paulette Brupbacher, rehaussée d’une introduction excellente de Fritz Brupbacher, reflète une largesse d’esprit autant qu’une indépendance de pensée, qu’on aimerait rencontrer plus souvent au cours des vicissitudes quotidiennes.
Max Nettlau, le savant historien de l’idée anarchiste, y a joint des annotations qui aideront le lecteur à saisir ce qui peut sembler parfois troublant à retrouver sous la signature de Bakounine, et son autorité morale couvre ainsi l’intégrité du texte.
« Bakounine a une personnalité captivante, de brillantes facultés intellectuelles jointes à une rare énergie, mais aussi à une passion fanatique. »
Cette pensée termine la page qui est consacrée dès 1866, dans le Grand Dictionnaire encyclopédique de Brockaus, à celui qui, non seulement fut un penseur étonnant, mais surtout un homme d’action d’une valeur remarquable.
« S’il a beaucoup péché, écrit Bielinski, s’il a commis bien des erreurs, il porte en lui une force qui efface tous ses défauts personnels, c’est le principe de l’éternel mouvement qui gît au fond de son âme. »
Au lendemain de la révolution russe, les documents les plus curieux furent livrés au public. Avec ces archives secrètes que laissèrent les services de la police tsariste, on a pu reconstituer bien des événements restés confus dans l’histoire des luttes révolutionnaires.
C’est la Librairie d’État soviétique qui, en 1921, publia sous la direction de V. Polonski, qui assumait la rédaction des archives historiques à Moscou, une édition russe du texte intégral de la « Confession », comprenant quatre-vingt-douze grandes pages et une lettre à Alexandre II, datée de février 1857, qui elle, en comportait trois.
On peut imaginer les rumeurs qu’elle suscita dès sa parution. Véra Figner semblait s’indigner du ton de ces pages, qu’elle trouvait dégradantes au premier abord, tandis que Radek entrevoyait cette contrition de Bakounine sous un autre angle ; pour lui, Bakounine prisonnier était en droit d’adopter le style le plus conforme à l’objectif qu’il visait, c’est-à-dire sortir de son tombeau.
La mémoire de Bakounine ne tarda point à être rudement malmenée par tous ceux qui ont grand besoin, pour servir leur cause, de salir leurs adversaires, même au prix des plus basses calomnies.
Pour ce qui est de la « Confession » de Bakounine, il semble avéré qu’un malentendu se soit dressé, du fait d’un article publié dans le « Forum » de Berlin, article qui portait la signature de Victor Serge (ex-Kilbatchiche).
Or, comme l’écrivait Boris Souvarine à ce sujet : « Par suite de quelles circonstances cet article fut-il traduit, déformé, dénaturé et reproduit en Allemagne ? »
« Victor Serge l’ignore et nous aussi. Certes, je ne dissimulerai pas la pénible surprise que j’ai ressentie en apprenant que le « Forum » d’Herzog en avait publié un texte tripatouillé. Je ne veux pas m’attarder aux altérations successives que l’article a pu subir dans diverses traductions, retraductions et reproductions en Suisse et en Italie. Le fait essentiel est que la pensée et l’expression de Victor Serge ont été faussées malgré lui [2]. »
Ce fut là cependant l’origine de nouvelles diffamations que des adversaires prétextèrent pour ouvrir de vieilles polémiques qui jadis mirent aux prises Marx et Bakounine.
Dans une longue lettre, datée du 8 décembre 1860, d’Irkoutsk, adressée à l’écrivain Herzen, lequel dirigeait à Londres le journal « La Cloche » Bakounine parle de ce document. Selon son habitude prolifique, après tant d’autres choses, il raconte son arrestation et son évasion faisant allusion à cette « Confession ». Cette lettre ne contenait pas moins de 49 pages imprimées de texte russe. Qu’y disait-il ?
Deux mois après ma relégation dans cette prison, je reçus la visite du comte Orloff, qui se présenta au nom de l’Empereur et qui me dit : « Sa Majesté m’envoie vers vous, avec cet ordre : Dis-lui de m’écrire, comme le ferait le fils spirituel qui aurait à se confesser à son père spirituel. » Voulez-vous écrire ? Je devins songeur pendant quelques instants, je réfléchis que dans un tribunal public, devant un jury, j’aurais le devoir de rester dans mon rôle jusqu’au bout, mais qu’enfermé comme je l’étais entre quatre murs, me trouvant au pouvoir d’un ours, il me serait permis d’adoucir la forme sans me faire de scrupule de cela. Je demandai donc un mois de temps, j’acceptai. Et en effet, j’écrivis une sorte de confession, quelque chose dans le genre « Poésie et Vérités » (Dichtwng und Warheit) de Goethe. D’ailleurs, tous mes actes furent parfaitement connus ; j’avais agi si ouvertement que je n’avais plus de secrets à révéler à ce sujet. Après avoir, dans cette lettre, remercié Sa Majesté de sa condescendance, j’ajoutai :
« Sire, vous désirez avoir ma confession, soit, je vous la ferai. Mais vous ne devez pas ignorer que le pénitent n’est pas obligé de confesser les péchés d’autrui. Après le naufrage que je viens de faire, je n’ai de sauf que l’honneur, mon seul trésor, et la conscience de n’avoir jamais trahi personne qui ait voulu se fier à moi, et c’est pourquoi je ne vous donnerai pas de noms. » Après cela, à quelques exceptions près, je racontai à Nicolas ma vie à l’étranger, et lui fit part de mes sentiments et de mes impressions ; sans ménager les points où il pût puiser des enseignements pour sa politique intérieure et extérieure. Cette confession, calculée sur la précision de ma position sans issue, et d’un autre côté, pour le tempérament énergique de Nicolas, fut écrite en termes très hardis, et c’est pour cette raison que ma lettre lui plut. En effet, je lui sais gré de ne pas m’avoir questionné après, sur aucun autre sujet [3].
D’autre part, dans une notice biographique parue dans le tome II de l’édition française des Œuvres de Michel Bakounine, James Guillaume faisait allusion à cette confession, en rappelant la lettre à Herzen, dont il fut question ci-dessus.
Il me semble alors, sinon impossible, du moins incompréhensible que, comme l’écrivait Maurice Paréjanine, « en France notamment, les anarchistes sans plus ample information crièrent à la falsification ou plutôt à la fabrication par les bolcheviks d’un monstrueux document apocryphe [4] ».
Si cela fut, ces anarchistes se montrèrent peu renseignés, puisque ces deux sources d’informations remontent l’une à 1896, l’autre à 1907 ; mais là n’est pas la question.
La publication de la « Confession » de Bakounine fut sans doute dans les annales révolutionnaires d’une importance incontestable. Et l’on ne pouvait, l’ayant découverte, la remiser dans les cartons d’un bureau quelconque, parmi des archives secrètes, qu’une prochaine révolution aurait mise au jour. Existante, la « Confession » appartenait au monde révolutionnaire, tout comme son auteur s’identifiait au mouvement social de la seconde moitié du siècle dernier et, par ce fait, il était d’un impérieux devoir pour l’histoire de la rendre publique même si sa publication pouvait apporter des désillusions profondes chez ses admirateurs.
Les idées relèvent de la critique rationnelle, de la critique et de leur application pratique et des résultats qu’elles donnent, de l’étude des conditions objectives de leur naissance et de leur développement. Mais les actions et les attitudes individuelles de ceux qui les ont professées peuvent tout au plus fournir des éléments d’appréciation d’ailleurs secondaires dans cette dernière étude [5].
Quelle que soit la valeur de ce plaidoyer avant la lettre, il n’en est pas moins vrai qu’une « autorité morale » aidera puissamment la diffusion d’un idéal, et les méthodes employées durant ces dernières années de lutte révolutionnaire, par certains partis, confirment indéniablement la puissance de la valeur individuelle dans la propagation d’une idée.
En général, les hommes ne se haussent presque jamais à la hauteur de l’idéal qu’ils professent [6].
Il serait absurde d’utiliser comme argument pour critiquer une idée ou une doctrine les faits et gestes d’un homme qui en fut le représentant attitré ou officiel. Les faiblesses ou les fautes, les torts ou les erreurs voire même les crimes ne justifient point la réprobation d’un ensemble d’idées.
Nous nous trouvons ici devant un document qui dépasse peut-être, par quelques côtés subtils, notre pouvoir d’investigation. Cette « Confession » nous jette en face d’un dilemme curieux et extraordinaire qui, tout comme sa vie que nous connaissons, nous révélait un être extrêmement complexe. En l’analysant aussi judicieusement que possible, nous ne l’aborderons point avec cette admiration béate du suiveur hypnotisé par un maître, mais en hommes avertis, en esprits détachés des à-côtés puérils, et avec l’objectivité et la relativité des êtres et des choses, avec ce recul du temps qui nous autorise un jugement plus sain, moins entaché de coterie ou de vénération.
Ainsi, l’étude de ce document nous conduit à la recherche de vérités qui nous permettent de dépouiller l’homme que fut Bakounine, non tel que nous l’eussions entrevu dans nos rêves imaginaires, mais tel qu’il se présente devant le constat de nos investigations, afin d’en tirer ainsi l’enseignement qu’elle dégage.
Sa « Confession » nous éclaire sur certains points de sa vie restés obscurs et qui, sans doute, n’auraient jamais été éclaircis sans cette publication. La personnalité de ce révolutionnaire se révèle sous un jour nouveau qui le complète.
Il faut donc enlever à ce document, quelle que soit sa forme, tout caractère sentimental. C’est le plaidoyer d’un accusé qui ne désire pas aggraver sa situation, qui est déjà assez mauvaise, et qui ne fut nullement améliorée par ce plaidoyer, mais resta aussi cruelle et intolérable jusqu’au delà de la mort de Nicolas Ier. Ce résultat négatif était du reste presque à prévoir car, malgré la profusion des expressions sur ces crises, ses folies, son repentir, Bakounine en somme se moque du tsar, et lui jette une quantité de récits sur des faits, plans, idées périmées et insaisissables, et s’abstient de la moindre indication que le tsar aurait pu considérer à son point de vue comme utile à la cause de la monarchie.
Quoi qu’on en dise, ou quoi qu’on écrive, Bakounine restera dans l’Histoire, non comme un de ces individualistes bohèmes qui ont fait - comme se plaît à l’écrire Emmanuel Berl - perdre avec leur jet de salive et leurs gestes désordonnés un temps précieux dont il faut des années de souffrances et d’oppression pour regagner le terrain, mais ce seul nom reste un symbole, celui d’une indomptable énergie révolutionnaire, d’une soif inextinguible de justice et d’action, d’une puissante aspiration à la liberté, à l’idéal de liberté.
L’on sait que, condamné à mort le 14 janvier 1850, par les autorités saxonnes, Bakounine vit sa peine commuée en prison perpétuelle. Livré ensuite à l’Autriche, il est condamné à la pendaison, le 15 mai de l’année suivante, peine également commuée en prison perpétuelle. Son séjour dans les prisons autrichiennes fut de courte durée. Il était bientôt livré à la police tsariste. De mai 1851 à mars 1854, il resta enfermé dans la forteresse Pierre-et-Paul, puis, jusqu’en 1857, à Schlüsselburg. C’est là qu’il reçut un jour la visite du comte Orlov qui, au nom de son maître le tsar vint le solliciter pour écrire comme un fils spirituel écrirait à son père spirituel. Bakounine, après un mois de réflexion, rédigea sa confession dont le texte resta ignoré jusqu’à la Révolution russe de 1917, et, sauf le résumé que Bakounine nous avait donné dans sa lettre à Herzen, on ignorait tout de son ensemble.
Brupbacher, après une assez longue étude du texte de la « Confession », en arrive à tirer des conclusions qui semblent vouloir justifier l’auteur, car, pour lui, les sentiments ne sont pas toutes nos facultés, « nous disposons aussi de raison », c’est pourquoi il écrit : « Dans sa confession au tsar, Bakounine se repent de toutes ses idées et de tous ses actes révolutionnaires, et il demande pardon. Il y a eu des gens pour prendre au sérieux ce repentir de Bakounine ; ils n’ont pas réfléchi que l’usage de cette fiction constituait pour lui la condition « sine qua non » d’obtenir du tsar Nicolas Ier ce que le prisonnier désirait, c’est-à-dire son élargissement. Que ce repentir ait duré juste le temps nécessaire à favoriser cette délivrance, c’est ce que toute la vie ultérieure de Bakounine suffit à prouver. »
Durant son emprisonnement, au moment même où l’on pouvait supposer que Bakounine humiliait sa fierté révolutionnaire, il réussit à faire parvenir à sa sœur Tatiana une lettre qui montre que ses opinions révolutionnaires n’ont en rien été sacrifiées.
... Vous comprendrez, je l’espère, que tout homme qui se respecte un peu doit préférer la mort la plus cruelle à cette lente et déshonorante agonie : vous ne savez pas combien l’expérience est tenace dans le cœur de l’homme. Laquelle ? me demanderez-vous. Celle de pouvoir recommencer ce qui m’a déjà amené ici ; seulement avec plus de (illisible) et plus de prévoyance peut-être, car la prison a eu au moins ceci de bon pour moi, qu’elle m’a donné le loisir et l’habitude de réfléchir ; elle a pour ainsi dire modifié mon esprit ; mais elle n’a rien changé à mes anciens sentiments ; elle les a rendus au contraire plus ardents, plus absolus que jamais, et désormais tout ce qui me reste de vie se résume en un seul mot : « La Liberté ».
Ce n’est donc point en l’humilité qu’il faille chercher l’explication rationnelle de ce qu’on s’imagine être une défaillance, mais bien plus dans la feinte et le mensonge auxquels Bakounine tentait de plier son talent et son tempérament, en vue de recouvrer sa liberté.
Parlant de la dépression et des moments de faiblesse qui auraient assailli Bakounine durant une période de ses détentions, James Guillaume rapporte les souvenirs qu’il recueillit de la bouche même de cet indomptable énergie révolutionnaire chez qui la soif de la justice et de l’action était inextinguible.
L’atroce régime de prison avait complètement délabré mon estomac ; vers la fin, nous a-t-il raconté, il avait pris en dégoût tous les aliments, et en était arrivé à se nourrir exclusivement de choux aigres hachés (chtchi). Mais si le corps s’affaiblissait, l’esprit restait inflexible. Il craignait une chose par dessus tout : c’était de se trouver un jour amené, par l’action débilitante de la prison, à l’état d’abêtissement dont Silvio Pellico offre un type si connu ; il craignait de cesser de haïr, de sentir s’éteindre dans son cœur le sentiment de révolte qui le soutenait, et d’en arriver à pardonner à ses bourreaux et à se résigner à son sort. Mais cette crainte était superflue ; son énergie ne l’abandonna pas un seul jour, et il sortit de son cachot le même homme qu’il y était entré [7].
Ceci se rapporte à sa captivité de Schlüsselburg (1854-57), c’est-à-dire une période antérieure de trois ans au moins à la rédaction de sa « Confession ». Sans être définitivement échappé des griffes de ses tortionnaires, Bakounine s’était repris... Mais laissons-le lui-même narrer ce séjour à Schlüsselburg :
Quelle chose terrible cette relégation à perpétuité ! Traîner une existence sans but, sans espoir, sans aucun intérêt dans la vie. Et se dire chaque jour : demain, je serai encore plus abruti que je ne le suis aujourd’hui ! Souffrir des semaines entières d’un horrible mal de dents, qui revient sans cesse ! Et cette insomnie qui chasse le sommeil nuit et jour, et quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, même pendant les courtes heures de rêve, se trouver sous l’empire d’une fébrile agitation qui vous remue le cœur et le foie, avec le sentiment fixe que vous n’êtes qu’un esclave, qu’un cadavre... [8].
On comprend combien était alors impérieux en lui le besoin de reconquérir la liberté et que, pour ce faire, il se soit déterminé à jouer la comédie.
« Condamner le mensonge ! » écrivait B. Gianffret, parlant de la « Confession », « Évidemment, un bon bourgeois qui jamais dans sa vie n’a risqué plus qu’un rhume devant les panneaux des affiches électorales, n’y manquera pas. Mais qu’il n’oublie pas d’abord que toute morale n’a toute sa signification qu’à l’intérieur d’un groupe défini. Et de quel groupe commun fait donc partie le révolutionnaire emprisonné ? Bakounine et le tsar de toutes les Russies ? Bakounine a des devoirs envers les révolutionnaires et les peuples, il ne saurait en avoir envers ses ennemis. Les ruses de guerre (hélas ! peut-être) ont toujours trouvé des laudateurs ! [9] »
Il est en effet agréable de voir comment Bakounine plaisante et se paie parfois la tête du tsar, quand il lui parle de certains révolutionnaires réputés. Tout de suite, notre emmuré s’empresse d’ajouter : « Je ne vous dirais pas tout cela si je ne savais qu’il est réfugié en Amérique. » Ainsi, alors que le tsar croit saisir des indications utiles, celles-ci s’éclipsent devant lui.
Mais c’est surtout ce que l’être mis en cause fera après sa libération qui doit retenir notre attention, pour servir de base au critérium que nous porterons sur une telle confession. Et, dans ce domaine, Bakounine peut affronter sans peur toutes les critiques amies ou ennemies.
Après sa sortie de prison, toute la vie de Bakounine a démenti l’esprit voulu de sa confession et a confirmé ainsi celui de la lettre écrite à sa sœur. Il a montré que son idéal révolutionnaire était resté intact, qu’il s’était fortifié et que loin d’être un pécheur repentant, comme il tentait de le faire croire au tsar, il avait gardé un sentiment farouche de la lutte à livrer aux hommes et aux forces qui asservissent l’humanité.
« Cela vaut la peine que tu le lises, c’est très curieux et instructif », telle est la notice au crayon qui figure sur l’exemplaire copié pour Nicolas Ier, de la « Confession ». Cette invitation, maintenant que nous possédons le texte et que des traductions allemandes et françaises en ont été faites, nous pouvons la renouveler à tous les anarchistes.
Comment d’ailleurs résister à ce désir qui nous incite à parcourir fiévreusement ces lignes, qui soulèvent et soulèveront encore tant de querelles ? Comment hésiter devant cet impérieux devoir qui nous sollicite ? Ouvrons ces quelques 250 pages pour les analyser sans parti pris, en tirer l’enseignement que doit nous donner un tel document psychologique et historique.
Nous savons comment il arriva à Bakounine d’être au pouvoir du tsar et comment il fut sollicité, par un émissaire du Petit Père, d’écrire sa confession. Un jour, l’enfermé de Schlüsselburg adressa à S.M. Impériale avec cette dédicace ironique : « Très Gracieuse Majesté », un mémoire de sa vie d’agitateur et des pensées qui le dévoraient.
« Je vous supplie, Sire, de ne pas exiger de moi la confession des péchés d’autrui. En se confessant, personne ne dévoile les péchés commis par les autres, mais les siens propres. »
Cela provoqua chez le tsar une réaction subite, si bien qu’en marge du document tsariste, on pouvait lire, écrite de la main de Nicolas lui-même cette annotation : « Par cela, il détruit déjà toute ma confiance ; s’il sent toute la gravité de ses péchés, seule une confession complète et non conditionnelle peut être considérée comme une vraie confession. »
En lisant sa « Confession » on constate que Bakounine s’efforce, usant d’artifices hasardeux parfois, de ne rien livrer qui puisse autoriser la police à se servir de ses renseignements. Seuls des noms de personnages connus, dont certains même sont morts, s’échapperont de sa plume, car il préfère être un criminel méritant les châtiments les plus durs, plutôt que d’être un lâche.
Ainsi apparaît Bakounine dont les péchés et les crimes ne furent jamais la justification de sentiments bas et égoïstes, mais bien souvent déterminés par « un besoin très intense et jamais satisfait de connaissances, de vie et d’action. »
Nous ne le suivrons point à travers sa confession, alors qu’il nous raconte sa première jeunesse et l’époque de ses études, quoiqu’il soit intéressant de relever son affirmation relative à ces études métaphysiques, dans lesquelles il se plongeait jour et nuit, presque jusqu’à la folie : « Après avoir étudié de plus près les problèmes métaphysiques, je n’ai pas tardé à me convaincre de la nullité et de la vanité de toute métaphysique ; je cherchais l’action et elle n’est qu’inactivité absolue. » Un peu avant, n’avait-il pas écrit qu’il priait Dieu de lui suggérer des paroles simples ? Voilà qui aidera à comprendre le double jeu que Bakounine s’efforçait, avec un art subtil, de jouer auprès du tsar, afin de lui donner le change et de lui faire croire à son repentir.
Parle-t-il du poète Herwegh, c’est pour lui dire qu’il fut un homme pur, réellement noble ; de son ami Reichel, le pianiste compositeur, c’est pour le louer comme un véritable et unique ami ; et, dans la longue énumération de ses connaissances françaises, il parle de l’utopiste Proudhon comme de l’un des Français les plus remarquables de son temps.
Lorsque dans l’emballement de sa confession il est amené devant le fait de devoir citer des noms russes qu’il pourrait compromettre, il renouvelle sa supplication : « Ne me demandez pas leurs noms », et il essaie, par un plaidoyer aussi éloquent qu’ironique, de démontrer qu’il n’a pas eu la moindre relation politique avec les émigrés, s’efforçant ainsi, tout en se disculpant peut-être, de disculper des compatriotes, préférant se traiter d’original, envers qui on commit la faute de venir en aide.
Il semble bien que l’homme probe et sincère envers son idéal guidait avec une volonté curieuse sa façon d’écrire, car de temps à autre, il laisse entrevoir un peu de son âme noble et de son affliction, au moment où le bruit s’était répandu qu’il était un agent provocateur du gouvernement russe. L’on conçoit aisément que le repentir de Bakounine était surtout de façade et que, tout en écrivant sa confession, il s’offrait le luxe de cette liberté d’écrire à peu de chose près ce qu’il pensait, tout en le présentant autrement à cet empereur autocrate.
Voulant rappeler au tsar qu’en écrivant sa confession, il se trouve devant son père spirituel, Bakounine feint d’oublier qu’il est devant le grand et terrible tsar, qui fait trembler des millions d’êtres, en présence de qui personne n’ose ni énoncer, ni concevoir une opinion opposée à la sienne. Ainsi libéré, non sans une ruse délicate, il expose en long et en large ses idées sur la révolution en Russie, pourquoi il la veut, pourquoi il veut remplacer l’ordre social existant, par quel moyen il y arrivera et, en fin de compte, proclamer la liberté comme facteur d’élévation et d’ennoblissement de l’être humain. Il dira à ce tsar tant redouté des vérités cruelles sur l’organisme social et politique, dont Nicolas est le chef omnipotent.
En des pages virulentes, il dépeint les maux qui rongent la Russie, le manque de liberté, l’absence de vérité, les souffrances du peuple et des paysans qui endurent des vexations éhontées. Il donne sur la bureaucratie un jugement net et précis, d’une vérité profonde, après quoi il s’excuse du ridicule et de l’insolence qu’il témoigne en parlant de choses que le tsar connaît bien mieux que lui !
L’on sent ici toute l’ironie qui anime l’auteur de la « Confession », car personne n’ignore que le tsar avait bien autre chose à faire qu’à se tenir au courant de ce qui se passait entre le peuple et ses serviteurs. Mais, écrit-il, « il ne faut pas sortir les ordures de l’isba », et tout cela pour en arriver très adroitement à parler au tsar de la révolution russe, qu’il va défendre tout en clamant avec une énergie farouche l’idéal qu’il n’a cessé d’animer de tout son être. « L’amour de la liberté et une haine invincible pour toute oppression, haine encore plus intense lorsque cette oppression se rapportait à autrui et non à soi-même. Chercher mon bonheur dans le bonheur d’autrui, ma dignité personnelle dans la dignité de tous ceux qui m’entouraient ; être libre, dans la liberté des autres, voilà tout mon credo, l’aspiration de toute ma vie. »
Cette profession de foi, on se doit de la retenir ; elle se vérifie dès qu’il lui sera possible de reprendre la lutte, après sa fuite de Sibérie.
« Par mégarde, termine Bakounine, il se peut que j’aie oublié quelque chose, mais en dehors de cette confession, tout ce qui a été colporté sur mon compte est faux, erroné, calomnies », et il demande qu’on le délivre de l’horrible réclusion où « l’intelligence et la mémoire se transforment en un supplice insupportable ».
Mais le criminel repentant ne fut pas tout de suite proposé pour la déportation par ce plus gracieux souverain ! Bakounine, malade, se décida à tenter auprès d’Alexandre II, successeur de Nicolas décédé, une dernière chance de libération. Il y réussit et obtint sa déportation contre quittance au gouverneur général d’Omsk.
On sait que dès cet instant, il mit tout en œuvre pour recouvrer sa liberté entière, et il y parvint. Plus tard, il tombait dans les bras de son vieil ami Herzen qui, exilé à Londres, dirigeait le journal « La Cloche ».
Dès lors, toute la vie de Bakounine démentira formellement ce qu’il avait feint d’être. La « Confession » reste un document extraordinaire dans les annales de l’action révolutionnaire, troublant, complexe, mais puissant. C’est le cri déchirant d’un être qui se meurt d’inaction, d’un être qui ressent son inutilité de vivre, mais d’un être également qui, malgré ses forces brisées, miné par la maladie contractée en prison, aspire à respirer une dernière fois en liberté, jeter un coup d’œil sur le ciel clair, sur la fraîcheur des champs, tout en s’efforçant malgré tout de taire momentanément le désir le plus violent de son être : celui d’être libre pour lutter pour la liberté des autres. Celui qui accepte de feindre la supplication, la résignation, pour pouvoir être utile aux autres, à ceux qui n’osent, étant libres, lever l’étendard de la révolte, Bakounine, de son souffle puissant d’animateur, tentera jusqu’au dernier jour de sa vie d’entraîner les peuples dans des luttes libératrices, vers leur émancipation intégrale.
H. D.

[1] Michel Bakounine, « Confession (1857) ». Paris - Editions Rieder. 1932.
[2] « Bulletin communiste », 22 décembre 1921 ; N° 56 : 2e année.
[3] Correspondance avec Herzen et Ogarev.
[4] « Monde » N° 113, du 2 août 1930.
[5] A propos de la « Confession » de Bakounine, V. Serge « Bulletin communiste », N° 1 ; 3e année, 5 janvier 1922.
[6] Idem.
[7] « Bulletin de la Fédération jurassienne », supplément 9 juillet 1876.
[8] Lettres à Herzen et à Ogarov.
[9] « La Révolution prolétarienne »

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