Den Literaturnobelpreisträger Albert Camus, der am 7. November 1913 in Mondovi/Algerien geboren wurde, brauche ich wohl kaum vorzustellen. Weniger bekannt sind allerdings die Beziehungen die Camus nach dem Ende des Zweiten Weltkriegs und bis zu seinem Unfalltod 1960 mit den französischen Anarchisten, insbesondere den radikalpazifistischen und synthesistischen Tendenzen unterhielt (siehe hierzu das von Lou Marin herausgegebene Buch Camus et les libertaires, Marseille 2008). Grund genug Camus' Geburtstag hier zu begehen; ausgewählt habe ich einen Auszug aus L'homme révolté (1951) über metaphysische und historische Revolution:
"La liberté, 'ce nom terrible écrit sur le char des orages [Philothée O'Neddy]', est au principe de toutes les révolutions. Sans elle, la justice paraît aux rebelles inimaginable. Un temps vient, pourtant, où la justice exige la suspension de la liberté. La terreur, petite ou grande, vient alors couronner la révolution. Chaque révolte est nostalgie d'innocence et appel vers l'être. Mais la nostalgie prend un jour les armes et elle assume la culpabilité totale, c'est-à-dire le meurtre et la violence. Les révoltes serviles, les révolutions régicides et celles du XXe siècle, ont ainsi accepté, consciemment, une culpabilité de plus en plus grande dans la mesure où elles se proposaient d'instaurer une libération de plus en plus totale. Cette contradiction, devenue éclatante, empêche nos révolutionnaires d'avoir l'air de bonheur et d'espérance qui éclatait sur le visage et dans les discours de nos Constituants. Est-elle inévitable, caractérise-t-elle ou trahit-elle la valeur de révolte, c'est la question qui se pose à propos de la révolution comme elle se pose à propos de la révolte métaphysique. En vérité, la révolution n'est que la suite logique de la révolte métaphysique et nous suivrons, dans l'analyse du mouvement révolutionnaire, le même effort désespéré et sanglant pour affirmer l'homme en face de ce qui le nie. L'esprit révolutionnaire prend ainsi la défense de cette part de l'homme qui ne veut pas s'incliner. Simplement, il tente de lui donner son règne dans le temps. Refusant Dieu, il choisit l'histoire, par une logique apparemment inévitable.
En théorie, le mot révolution garde le sens qu'il a en astronomie. C'est un mouvement qui boucle la boucle, qui passe d'un gouvernement à l'autre après une translation complète. Un changement du régime de propriété sans changement de gouvernement correspondant n'est pas une révolution, mais une réforme. Il n'y a pas de révolution économique, que ses moyens soient sanglants ou pacifiques, qui n'apparaisse en même temps politique. La révolution, par là, se distingue déjà du mouvement de révolte. Le mot fameux : 'Non, sire, ce n'est pas une révolte, c'est une révolution' met l'accent sur cette différence essentielle. Il signifie exactement 'c'est la certitude d'un nouveau gouvernement' Le mouvement de révolte, à l'origine, tourne court. Il n'est qu'un témoignage sans cohérence. La révolution commence au contraire à partir de l'idée. Précisément, elle est l'insertion de l'idée dans l'expérience historique quand la révolte est seulement le mouvement qui mène de l'expérience individuelle à l'idée. Alors que l'histoire, même collective, d'un mouvement de révolte, est toujours celle d'un engagement sans issue dans les faits, d'une protestation obscure qui n'engage ni systèmes ni raisons, une révolution est une tentative pour modeler l'acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique. C'est pourquoi la révolte tue des hommes alors que la révolution détruit à la fois des hommes et des principes. Mais, pour les mêmes raisons, on peut dire qu'il n'y a pas encore eu de révolution dans l'histoire. Il ne peut y en avoir qu'une qui serait la révolution définitive. Le mouvement qui semble achever la boucle en entame déjà une nouvelle à l'instant même où le gouvernement se constitue. Les anarchistes, Varlet en tête, ont bien vu que gouvernement et révolution sont incompatibles au sens direct. 'Il implique contradiction, dit Proudhon, que le gouvernement puisse être jamais révolutionnaire et cela par la raison toute simple qu'il est gouvernement.' Expérience faite, ajoutons à cela que le gouvernement ne peut être révolutionnaire que contre d'autres gouvernements. Les gouvernements révolutionnaires s'obligent la plupart du temps à être des gouvernements de guerre. Plus la révolution est étendue et plus l'enjeu de la guerre qu'elle suppose est considérable. La société issue de 1789 veut se battre pour l'Europe. Celle qui est née de 1917 se bat pour la domination universelle. La révolution totale finit ainsi par revendiquer, nous verrons pourquoi, l'empire du monde.
En attendant cet accomplissement, s'il doit survenir, l'histoire des hommes, en un sens, est la somme de leurs révoltes successives. Autrement dit, le mouvement de translation qui trouve une expression claire dans l'espace n'est qu'une approximation dans le temps. Ce qu'on appelait dévotement au XIXe siècle l'émancipation progressive du genre humain apparaît de l'extérieur comme une suite ininterrompue de révoltes qui se dépassent et tentent de trouver leur forme dans l'idée, mais qui ne sont pas encore arrivées à la révolution définitive, qui stabiliserait tout au ciel et sur la terre. Plutôt que d'une émancipation réelle, l'examen superficiel conclurait à une affirmation de l'homme par lui-même, affirmation de plus en plus élargie, mais toujours inachevée. S'il y avait une seule fois révolution, en effet, il n'y aurait plus d'histoire. Il y aurait unité heureuse et mort rassasiée. C'est pourquoi tous les révolutionnaires visent finalement à l'unité du monde et agissent comme s'ils croyaient à l'achèvement de l'histoire. L'originalité de la révolution du XXe siècle est que, pour la première fois, elle prétend ouvertement réaliser le vieux rêve d'Anacharsis Cloots, l'unité du genre humain, et, en même temps, le couronnement définitif de l'histoire. Comme le mouvement de révolte débouchait dans le 'tout ou rien', comme la révolte métaphysique voulait l'unité du monde, le mouvement révolutionnaire du XXe siècle, arrivé aux conséquences les plus claires de sa logique, exige, les armes à la main, la totalité historique. La révolte est alors sommée, sous peine d'être futile ou périmée, de devenir révolutionnaire. Il ne s'agit plus pour le révolté de se déifier lui-même comme Stirner ou de se sauver seul par l'attitude. Il s'agit de déifier l'espèce comme Nietzsche et de prendre en charge son idéal de surhumanité afin d'assurer le salut de tous, selon le vœu d'Ivan Karamazov. Les Possédés entrent en scène pour la première fois et illustrent alors l'un des secrets de l'époque : l'identité de la raison et de la volonté de puissance. Dieu mort, il faut changer et organiser le monde par les forces de l'homme. La seule force de l’imprécation n'y suffisant plus, il faut des armes et la conquête de la totalité. La révolution, même et surtout celle qui prétend être matérialiste, n'est qu'une croisade métaphysique démesurée. Mais la totalité est-elle l'unité ? C'est la question à laquelle cet essai doit répondre."
(Albert Camus, L'homme révolté, Paris, 1951, S.135-138).
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