Le gouvernement, sans que ses membres les plus catholiques s'en soient fâchés, a décidé de faire l'inventaire des biens qu'ils abandonne aux églises afin de "suivre leur sort, de ne pas permettre que l'association nouvelle les détourne de leur destination primitive."
La loi votée, il ne reste plus qu'à l'appliquer ; chacun sait cela. Ce que chacun sait également, c'est qu'une loi, qu'elle soit le produit de la gauche, du centre ou de la droite, lèse toujours beaucoup de gens, et, chose plus curieuse, soulève parfois des protestations.
C'est ce qui arriva avec le point malencontreux ajouté à la loi sur la séparation des églises et de l'état. Le calme de Paris a été dérangé, les voûtes imposantes des églises les plus à la mode ont été troublées des bruits les moins chrétiens; les chaises habituées à des déplacements lents et silencieux ont servi à de belliqueuses algarades et à la construction de barricades dignes des plus savants tacticiens. Oui, et avec cela bien d'autres choses. Ne voit-on pas les belles dames, les messieurs les plus corrects descendre de leurs autos ou de leurs coupés pour repousser de leurs mains fines les brutes de Lépine, pour les engueuler même... se faire emmener au Dépôt, tels de vulgaires anarchistes, et horreur, se voit condamner sans sursis !
Chacun a pu lire dans les quotidiens le récit des faits qui se sont produits à l'arrivée des agents des domaines, faits tragiques ou comiques, laissant la porte large ouverte aux commentaires à perte de vue.
Voyons un peu les actes accomplis ces jours derniers. Je sais bien que les catholiques accusent les flics de brutalité excessive ; que les socialistes, les anticléricaux oubliant les taloches d'antan, déplorent une tendance à trop de douceur de la part des policiers, tout en donnant un bon point à Lépine.
Je sais bien aussi que les anarchistes ne sont que de vulgaires réactionnaires en trouvant logiques avec eux-mêmes M. de la Rochefoucauld et tous ceux qui, comme lui, protestaient sans s'inquiéter de la légalité, contre la violation de leurs églises, des lieux objets de leur vénération.
Réactionnaires, soit. Aussi bien le mot ne serait pas pour nous déplaire si on lui conservait son sens exact, sans l'appliquer à un parti ou à une série de partis; ne sommes-nous des réactionnaires nous qui réagissons contre la majorité d'imbéciles qui nous entourent.
Nous ne pouvons qu'être d'accord avec l'attitude nette des chrétiens se considérant touchés par l'arbitraire de la loi nouvelle.
Il n'est pas d'anarchistes qui aient pu trouver mauvaise la façon de se défendre des catholiques. Nous ne pouvons de cela tirer qu'un enseignement de plus sur les moyens à employer contre l'arbitraire d'autrui...
Je ne dis là rien de nouveau ; cette conclusion a été tirée bien des fois, de bien des faits analogues et il serait peut-être inutile de parler de ces choses si nous n'y trouvions rien de plus.
Au début de cet article je disais pas plus à la Chambre qu'au Sénat le point relatif à l'inventaire ne souleva de tempêtes. Les plus éminents catholiques ne souffrirent pas à l'idée de voir violé le "trésor paroissial" par l'œil inquisiteur d'un employé de l'enregistrement.
Le cardinal Richard conseille le calme à ses ouailles. Le curé de Saint-Sulpice, l'abbé Letourneau, fit mieux : il prépara lui-même l'inventaire, ordonna l'expulsion des trop turbulents paroissiens et gracieusement fit les honneurs de sa boutique. Le curé de Sainte-Clotilde fit une constation terrifiante : les fidèles, à ses remontrances devant leur attitude menaçante, lui répondaient : "Vous n'êtes rien ici. C'est nous qui sommes chez nous. C'est nous qui sommes les maîtres." Evidemment on a beau être duc, cocher, marquis ou valet de chambre, il n'en est pas moins vrai que le curé avait raison : "L'autorité des chefs méconnue, toute discipline disparaît."
Et les catholiques ont pu se rendre compte que leurs chefs étaient diablement opportunistes. La Libre-Parole, qui ne mâche pas ses mots, sait bien le leur faire comprendre. A propos du curé Letourneau elle déclare sa conduite "odieuse". Que dira-t-elle de l'archevêque qui lui envoie une lettre de bon copain ? Que dira-t-elle de la Semaine religieuse qui ne souhaite pas que la résistance se généralise ? Que dira-t-elle du pape qui prudemment observe le proverbe sur la différence de valeur entre la parole et le silence ?
Il serait à souhaiter que les chrétiens sincères sachent regarder autour d'eux et puissent juger les actes de leurs pasteurs. Peut-être devant l'attitude piteuse que ces derniers ont pris à l'heure de la lutte, l'idée viendra-t-elle aux ouailles que leurs pasteurs sont des gens de métier n'ayant jamais eu souci de leurs convictions mais bien plutôt de leur situation. Cette constatation les aménerait vers l'esprit de critique : c'est alors que la grande discipline prônée par le curé de Sainte-Clotilde et reconnue nécessaire pour le maintien de l'édifice catholique - de tous les édifices de l'autorité - disparatraît vite, libérant dans sa chute des milliers d'inconscients.
Anna MAHÉ.
(aus: l'anarchie, 2. Jg., 44, 8. Februar 1906).
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