Impôt et Rente.
On n’a rien laissé à dire sur l’impôt ; toutes les combinaisons dont
il est susceptible ont été essayées, proposées, discutées ; et, quoi
qu’on ait fait et qu’on ait dit, il est resté comme une énigme
insoluble, où l’arbitraire, la contradiction et l’iniquité se croisent
sans fin.
L’impôt foncier agit sur l’agriculture comme le jeûne sur le sein
d’une nourrice : c’est l’amaigrissement du nourrisson. Le gouvernement
en est convaincu, mais, dit-il, il faut que je vive !
L’impôt des portes et fenêtres est une taxe sur le soleil et l’air,
que nous payons en affections pulmonaires, scrofules, autant qu’avec
notre argent. Le fisc n’en doute pas, mais, répète-t-il toujours, il
faut que je vive !
L’impôt des patentes est un empêchement au travail, un gage donné au monopole.
L’impôt du sel un obstacle à l’élève du bétail, une interdiction de la salubrité.
L’impôt sur les vins, la viande, le sucre et tous les objets
de consommation, en élevant arbitrairement le prix des choses, arrête
la vente, restreint la consommation, pousse à la falsification, est une
cause permanente de disette et d’empoisonnement.
L’impôt sur les successions, renouvelé de la main-morte, est une
spoliation de la famille, d’autant plus odieuse que dans la majorité des
cas la famille privée de son chef, d’un membre utile, voit sa puissance
diminuer, et tombe dans l’inertie et l’indigence.
L’impôt sur le capital, qui a la prétention de simplifier tout en
généralisant tout, ne fait que généraliser les vices de tous les autres
impôts réunis ; c’est une diminution du capital. La belle idée !…
Pas d’impôt dont on ne puisse dire qu’il est un empêchement à la
production, un empêchement à l’impôt ! Et comme l’inégalité la plus
criante est inséparable de toute fiscalité, pas d’impôt dont on ne
puisse dire encore qu’il est un auxiliaire du parasitisme contre le
travail et la Justice. Le pouvoir sait toutes ces choses, mais il n’y
peut que faire, et il faut qu’il vive !
Le peuple, toujours dupe de son imagination, est favorable à l’impôt
somptuaire. Il applaudit aussi à l’impôt progressif, qui lui semble
devoir rejeter sur la classe riche le fardeau qui écrase le peuple.
Je ne connais pas de spectacle plus affligeant que celui d’une plèbe menée par ses instincts.
Quoi ! vous voulez qu’on dégrève les patentes, les loyers, le taux de
l’intérêt, les taxes de douane, les droits de circulation et d’entrée,
toutes réformes qui naturellement permettraient de produire en plus
grande quantité les objets dits de luxe, et, cela fait, vous demandez
qu’on rançonne ceux qui les achètent ! Savez-vous qui payera l’impôt de
luxe ? L’ouvrier de luxe ; cela est de nécessité mathématique et
commerciale.
Vous voulez qu’on impose la richesse à mesure qu’elle se forme, ce
qui signifie que vous défendez à quiconque de s’enrichir, à peine de
confiscation progressive. Franchise au pain d’avoine, taxe sur le pain
de froment : quelle perspective encourageante ! quelle économie !
On parle beaucoup d’un impôt sur les valeurs mobilières. En matière
d’impôt, il est difficile d’imaginer rien de plus agréable au peuple,
qui généralement ne touche pas de dividendes. Le principe conduirait à
imposer le revenu des cautionnements, l’intérêt de la dette consolidée
et de la dette flottante, les pensionnaires de l’État, ce qui
équivaudrait à une réduction générale des rentes et traitements. Mais ne
craignez pas que le fisc procède avec cette généralité, ni qu’il fasse
grand mal aux capitalistes que la mesure doit atteindre. Réduire, par
l’impôt, le capital à la portion congrue, après l’avoir appelé dans la
commandite et l’emprunt par l’appât d’un fort bénéfice, serait une
contradiction choquante, qui perdrait le crédit de l’État et des
compagnies et disloquerait la système.
Il y a des riches, soi-disant amis du peuple, qui trouvent ces
inventions superbes : hypocrites, qui savent à fond comment on leurre la
multitude, et qui dans la conscience de leur iniquité jugent prudent de
faire eux-mêmes à la misère populaire la part du feu !
La balance des produits et des besoins, de la circulation et de
l’escompte, du crédit et de l’intérêt, de la commandite, du droit
d’invention et du risque d’entreprise, est-elle faite ? Si oui, vous
n’avez plus rien à demander à l’industrie et au commerce, rien à leurs
actionnaires, rien à l’anonyme. Si non, il faut la faire : jusque là
votre projet d’impôt ne peut servir qu’à sauvegarder le parasitisme, en
ayant l’air de le frapper : c’est une jonglerie.
Je disais à un de ces habiles :
Il existe, en dehors de la série fiscale, une matière imposable, la
plus imposable de toutes, et qui ne l’a jamais été ; dont la taxation,
poussée jusqu’à l’absorption intégrale de la matière, ne saurait jamais
préjudicier en rien ni au travail, ni à l’agriculture, ni à l’industrie,
ni au commerce, ni au crédit, ni au capital, ni à la consommation, ni à
la richesse ; qui, sans grever le peuple, n’empêcherait personne de
vivre selon ses facultés, dans l’aisance, voire le luxe, et de jouir
intégralement du produit de son talent et de sa science ; un impôt qui
de plus serait l’expression de l’égalité même.
— Indiquez cette matière : vous aurez bien mérité de l’humanité.
— La rente foncière.
Allons, faux philanthrope, laissez-là votre impôt somptuaire, votre
impôt progressif, et toutes vos adulations à la multitude envieuse ;
imposez la rente de tout ce dont vous voudriez dégrever les autres
impôts : personne n’en ressentira de gêne. L’agriculture demeurera
prospère ; le commerce n’éprouvera jamais d’entraves : l’industrie sera
au comble de la richesse et de la gloire. Plus de privilégiés, plus de
pauvres : tous les hommes égaux devant le fisc comme devant la loi
économique… (...)
(aus De la Justice dans la Révolution et dans l'Eglise, erster Band, Teil 3, Kapitel VI, Abschnitt XXXIII, Paris, 1858, S.313-316).
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